
La série « Portrait » s'efforce de mettre en lumière les personnes et les organisations au sein de la communauté des clients de Percumédia.
Pour cette édition, Sandrine Théard nous fait découvrir Les Sources Humaines, un acteur incontournable dans le développement des compétences en acquisition de talents.
Les Sources Humaines est une école du recrutement fondée par Sandrine Théard. Sa mission est de professionnaliser le métier de recruteur. Sandrine Théard possède plus de 25 ans d'expérience en acquisition de talent et est formatrice agréée en recrutement et sourcing, blogueuse et conférencière. Elle est également fondatrice et organisatrice de #trumontreal. L'organisation forme, informe et rassemble tous les acteurs du recrutement sur les bonnes pratiques, les nouveautés et la technologie, proposant des solutions concrètes pour mieux sourcer, recruter et évaluer. Sandrine intervient lors d'événements prestigieux et maintient une présence active dans l'écosystème RH québécois.
Avant d'aborder des questions propres aux Sources Humaines, peux-tu nous parler de ton parcours?
Oui, je suis arrivée ici il y a 30 ans. Et puis j'ai toujours été en recrutement. J'ai commencé en agence de placement, car c'était ce qui avait été plus facile à trouver à mon arrivée. Ensuite, je suis allée en entreprise et finalement je suis partie à mon compte, avec beaucoup de recrutement opérationnel. Puis la formation a pris de plus en plus de place et aujourd'hui, je suis complètement dédiée à la formation. Mais j'ai vraiment l'étiquette de recruteuse.
Qu'est-ce qui t'a amené à réduire le recrutement pour aller davantage vers la formation ?
La demande. Et, en fait, quand LinkedIn est arrivé. Je faisais déjà un peu de formation au début quand je travaillais en agence. Je formais les nouvelles recrues. Et puis quand LinkedIn est arrivé, ça a été un gros changement de paradigme. On pouvait rechercher des gens en ligne, on arrêtait de faire des appels à froid, des « cold calls ». Parce que c'était comme ça qu'on faisait de la chasse de tête avant. On le fait encore aujourd'hui mais différemment. Alors, comme je me suis très rapidement investie dans Linkedin, on a commencé à me solliciter pour de l’aide à l’utiliser. Du coup, la formation a commencé comme ça, à mon compte. Et plus ça allait, plus j'avais de la demande.
Est-ce que LinkedIn, finalement, s'est vraiment avéré un outil utile, à la fois pour les chercheurs d'emploi comme et les recruteurs ?
Oui, parce qu’on était sur la première et la plus grosse plateforme de réseaux professionnels. C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui. Donc, oui, définitivement, ça a été vraiment un gros changement dans nos pratiques de recrutement. On pouvait dorénavant aborder les gens directement en ligne et non plus par téléphone avec assistants.es/réceptionnistes interposées. Ça a ouvert un monde de possibles parce que, sur LinkedIn, on est dans le volume et dans l'accessibilité. Donc, ça a eu un effet transformateur sur la dynamique de recrutement, recruteur et recruté.
Puis les Sources humaines, comment c'est arrivé ?
Encore une fois, c'est arrivé bien naturellement il y a une vingtaine d'années, quand la formation a pris beaucoup plus de place et que le métier de recruteur devenait vraiment une profession et plus seulement le parent pauvre des ressources humaines.
"J’ai toujours prétendu qu’on devait professionnaliser davantage le métier de recruteur."
Mon but était de faire en sorte que les candidats puissent bénéficier en toutes circonstances d’un processus de sélection plus équitable. C’est là où je me suis dit qu'il faudrait peut-être qu'il y ait un petit peu plus d'expansion au niveau de la visibilité de la profession de recruteur. Puis, d'ailleurs, et ça, je n’y suis absolument pour rien, mais le conseiller RH qui faisait du recrutement, est devenu aujourd’hui un spécialiste en acquisition de talents. Donc, même la dénomination a changé. Puis, les salaires ont vraiment énormément augmenté dans cette profession aussi.
Sur le site des Sources Humaines, tu indiques vouloir créer un écosystème dynamique où les professionnels du recrutement peuvent échanger, apprendre et grandir ensemble. Comment cultives-tu concrètement cette communauté collaborative ?
Beaucoup de réseautage, c'est certain. Aller voir les gens, les questionner, regarder un peu ce qui se passe, l'actualité du recrutement au Québec. La meilleure façon, à mon avis, de faire vivre un écosystème, c'est de proposer aux personnes une façon de se réunir, que ce soit en ligne ou en présentiel. Sur mon site web il y a d’abord un blogue sur lequel je publie régulièrement. Je mets les offres d'emploi qui sont disponibles sur le site aussi. Je vais aussi parler des gens qui bougent au niveau de l'acquisition de talent. Il y a l'infolettre qui est très importante et, éventuellement, quelques publications sur LinkedIn. Donc, c'est de voir comment est-ce qu'on peut faire un vivre l'actualité, finalement, dans le monde du recrutement.
J’ai aussi des groupes de co-développement. Je crois beaucoup à l'apprentissage par les pairs, beaucoup plus que dans une conférence, j'avoue, surtout aujourd'hui. Donc, on a des groupes de co-développement pour les gestionnaires en acquisition de talent et aussi pour les spécialistes en acquisition de talent.
Et TruMontréal, en quoi ça consiste, et comment ça fonctionne ?
Je pense que ça fait 14 ans maintenant que je j’organise TruMontréal. C'est venu très rapidement d'une frustration. J'ai fait beaucoup de choses qui viennent de frustrations. Je participais souvent à des événements qui étaient excessivement chers, surtout pour les plus petites structures. On était toujours dans des modes de conférences où il y avait les plus grandes entreprises qui venaient présenter leurs cas d'usage avec un PowerPoint très léché. Et je regardais ça et je me disais que si j’étais en PME, je n’aurais pas les budgets, je n’aurais pas les ressources pour appliquer ces exemples. Donc, je ne me reconnaissais pas du tout dans ce genre d'événements où c'était tout le temps soit les plus grandes institutions bancaires, soit les plus grandes entreprises de télécom ou de TI, donc, qui venaient présenter leurs cas. Je me suis mise à rechercher un peu d’autres types d’événements. Puis, le co-développement à l'époque était beaucoup moins développé.
Et je suis tombée sur un concept d'événement qui a été créé à Londres. C'est un Anglais qui avait démarré ce concept-là, les TRU pour The Recruitment Unconference, où on était sur des groupes de partage, avec un modérateur qui lance une discussion pendant une heure. Et donc, on échange sur les bonnes pratiques de chacun. On n'est plus du tout dans la conférence.
"Le slogan, c’est « pas de PowerPoint, pas de badge, pas de cravate », c'est très, très relax."
Il y a trois, quatre sessions en même temps, et les gens choisissent d'aller dans n'importe laquelle. Le concept m'a plu. On est sur des coûts qui sont bien moins importants que dans le cas d'une conférence traditionnelle. Je suis donc embarquée dans ce concept.
La première année, j'avais visé 100 participants et on a vendu 99 places. Il y avait donc un besoin pour ça. Et puis, depuis la deuxième année, on a vendu toutes les places disponibles en quelques jours. C’est donc parti très, très vite. Je pense que les gens sont contents. L'ambiance est décontractée. Puis, on vient se rassurer. On vient valider un peu ce qu'on fait chez nous par rapport à nos pairs. Donc, voilà. C'est une belle journée, le fun.
Pour que le recrutement et l'acquisition de talent soient efficaces et fructueux, il faut qu'il y ait un appui de la haute direction. Est-ce que tu trouves que cet appui-là a évolué avec le temps ?
Il a beaucoup évolué, je trouve, pendant la pénurie de main d'œuvre. Il faut savoir que les RH et le recrutement ont toujours été vus comme des centres de coûts et non pas des centres de profit. Sauf que, évidemment, pendant la pénurie de main d'œuvre, si tu n'as pas suffisamment de personnel, tu fermes des lignes de production, tu réduis des services, faute de main d'œuvre. Les ventes, par exemple, c’est capital, mais les ventes, c'est des individus derrière. Comment est-ce que tu peux générer plus de ventes si tu n'as pas suffisamment d'individus ou si tu les choisis mal? Donc, le recrutement devrait être vu comme un centre de profit. Et c'est vrai que ce ne sont pas toutes les structures, au niveau des directions, qui le voient comme ça.
Puis, deuxièmement, pour certains, on est encore dans des approches dépassées du recrutement. On considère que ce n'est pas compliqué, que ce n'est pas difficile. Tu rencontres quelqu'un, tu lui poses des questions et si ça marche ou si tu as un bon feeling, tu le fais venir. Donc, dans bien des cas, on a encore cette vision-là, et on se dit que ça ne sert à rien de toute façon de dépenser de l'argent pour ça. Mais, avec la pénurie de main d'œuvre, il y a eu une évolution. Le problème, c'est que là, on a un retour de balancier. Depuis que le taux de chômage augmente et qu'on a davantage de candidats, on met ça de côté, on met la marque employeur de côté, on met nos valeurs de côté. De toute façon, les gens cherchent du travail, donc on coupe les budgets.
Pourtant, j’imagine qu’il a été clairement démontré que des équipes bien constituées, c'est un peu la clé du succès. Est-ce que tu sens qu'il y a une réelle sensibilité à ça ou c'est vraiment lié au marché, au niveau de chômage, à la disponibilité de main-d’œuvre, etc. ?
Je trouve que c'est beaucoup lié au marché, honnêtement. Après, il y a l’intention ou le vœu pieux de se dire que oui, on va le faire. Mais les chiffres nous rattrapent, le marché nous rattrape. On est quand même beaucoup sur des indicateurs de performance en place. Et puis, évidemment, plus tu es dans une grosse structure, plus ce qu'on te demande de regarder, c'est les chiffres. Et tu te retrouves parfois à faire des actions qui sont complètement insensées parce qu'il faut que ça entre dans les chiffres, dans le bilan. La planification de main-d'œuvre, ça ne se fait plus. Quand j'ai commencé, on avait des PMO qui venaient quand même avec une vision, tu sais, et qui étaient quand même à moyen terme. Aujourd'hui, la planification de main-d'œuvre, ça se fait à très court terme, c'est tout. Tu ne peux plus planifier sur le long terme.
Beaucoup de nos lecteurs sont dans des petites entreprises, je dirais même des nano-entreprises, où la personne qui s'occupe du recrutement, c'est aussi celle qui s'occupe de tout, en fait, c'est la direction administrative. Alors, pour une toute petite entreprise qui n'a vraiment pas les moyens d'avoir un spécialiste en recrutement, comment conseilles-tu de procéder ou d'intégrer cette dimension-là dans sa vie quotidienne ?
Déjà, je pense qu’il faut vraiment réfléchir dans un premier temps à ce dont on a besoin, ce qu’on cherche, et de le coucher sur papier. Je cherche quoi comme compétences? Qu'est-ce qui est important? Il y a probablement, dans un premier temps, la dimension liée au secteur d’activité, mais après, il y a tout ce qu'on appelle les soft skills, donc vraiment les compétences de la personne. Je cherche quoi en termes de compétences?
Et puis ensuite, comment est-ce que je vais être en mesure d'évaluer ça? Après, il y a plein de documentation en ligne, par exemple, pour dire quel type de questions je devrais poser à une personne pour aller évaluer si elle maîtrise telle compétence ou pas. On utilise principalement ce qu'on appelle les questions comportementales. C'est « raconte-moi un exemple, où tu as fait preuve de beaucoup d'organisation », par exemple. Mais c'est aussi se demander pourquoi est-ce que je pose cette question-là en entrevue? Je vais prendre la fameuse question des points forts et des points faibles. Pourquoi est-ce qu'on pose cette question-là en entrevue? Qu'est-ce que je vais chercher en posant cette question-là? Est-ce que vraiment la personne qui est en face de moi va être sincère dans sa réponse? Et ce n'est même pas une question de mentir ou pas. La personne qui est en face veut l’emploi. Toi, tu lui poses les questions.
"Donc, la personne, évidemment, est partagée entre le fait de dire la vérité et se dire qu’elle doit aussi se vendre en entrevue."
Souvent, en fait, la problématique que l'on a, je trouve, quand on est peut-être un petit peu plus novice en entrevue, c'est de faire la distinction entre la prestation en entrevue et le potentiel réel de l'individu. Et souvent, on peut être berné par la prestation du candidat. Donc, est-ce que les questions que je pose vont chercher la prestation du candidat ou vont chercher réellement son potentiel? C'est un peu ça. Il m'est arrivé, plusieurs fois, d'être bernée par un candidat ou une candidate qui se présente bien. La personne est articulée. Elle te répond ce que tu veux entendre. Et tu te dis, c'est un super candidat, donc, ce sera un bon employé. Mais non.
Et l’intelligence artificielle dans le processus de recrutement? Est-ce que ça va vraiment être un outil utile et utilisé ?
Il y a des gens qui en ont peur, il y a des gens qui l'adoptent, il y a des gens qui trippent. Il y a des gens même qui ont honte de l'utiliser, qui n'osent pas le dire, parce que sinon, on jugera qu’ils travaillent moins, et que donc on leur donnera plus de boulot. C'est très complexe, présentement, l'adoption de l'IA dans les organisations. Il y a beaucoup d'entreprises qui veulent le mettre de l'avant, mais, encore une fois, il y a plein d’obstacles à son utilisation. Il y a tout l'aspect cybersécurité par exemple qui entre en ligne de compte. Je pense que ça va beaucoup arriver par les outils qu'on va utiliser. Donc, par les systèmes de gestion de candidatures, par exemple, pour les plus grosses structures, qui vont intégrer de l'IA.
Mais c'est certain que, comme recruteur, quand tu vois que tu as une intelligence artificielle qui est capable de faire tout le travail de recrutement sans ton intervention, tu vas te demander ou sera ta place là-dedans. Et il y a beaucoup de gens qui disent, non, il faut de l'humain. Oui, mais on part du principe que l'humain est bon dans un processus de candidature. Or, je connais plein de gens qui sont passés à travers des processus de sélection où le recruteur était mauvais. Où il n'y a pas eu de suivi, pas de nouvelles, ou le candidat a été mal évalué, ou on lui a posé même des questions quelquefois illégales. Alors si l'IA est en mesure, avec un candidat, de mener un processus bien organisé, de donner des nouvelles tout de suite après, d'être équitable dans l’évaluation, et bien moi, je vais peut-être préférer travailler avec une IA plutôt qu'avec un humain, évidemment si l'humain fait mal son travail.
Donc, ça remet beaucoup, beaucoup de choses en question. Puis, c'est certain qu'aujourd'hui, il y a encore une question d’acceptabilité sociale pour un candidat qui dans un processus veut parler à un humain. Mais le jour où on va tous être plus habitués à utiliser et interagir avec des IA, il y aura plus d’acceptabilité. Est-ce que le recruteur sera encore important ? Je ne sais pas.
Parle-moi un peu du taux de roulement, de la fidélité à un employeur chez les jeunes candidats.
La durée de vie d'un employé dans une structure raccourcit de plus en plus. Tu sais, cette histoire de carrière que l'on avait quand on a commencé où tu faisais une carrière, tu entrais dans une boîte, puis tu allais gravir les échelons, c'est fini.
"L'emploi, aujourd'hui, c'est un bien de consommation pour les gens. Tu réponds à mon besoin, je reste. Tu ne réponds plus à mon besoin, je m'en vais. Parce que je vais trouver éventuellement ailleurs."
Alors, sauf évidemment si le taux de chômage augmente drastiquement, on est quand même dans une société de consommation aussi au niveau de l'emploi. Et les structures ont du mal avec ce phénomène. Il y a certaines structures qui pensent encore un peu comme avant et qui vont, par exemple, poser la question d'entrevue, « tu te vois où dans cinq ans » ? Ou « comment est-ce que tu te vois évoluer dans l'organisation ? ». C'est fini, ça. Surtout depuis le Covid. On ne sait même plus ce qui va nous tomber dessus demain.
Sachant ça, c'est très difficile. Puis on l’a dit précédemment, le long terme, c'est fini. L'IA aussi ne nous permet plus de voir à long terme. On n'est que dans des stratégies court terme. Mais la carrière d'un individu aussi, c'est ça. Ce n'est pas « je vais finir gestionnaire ou directeur de l'entreprise ou du service dans 20 ans ». D'abord, je veux l'être rapidement. Puis, entre-temps, je veux « tripper » dans mon travail. Et tous les organismes, quels qu'ils soient, doivent arrêter de penser en stratégie long terme par rapport à leur talent.
C'est un défi parce que ça veut dire qu’on n’a pas de retour sur investissement avec le talent. On ne peut plus dire qu’avec six mois de formation, il faut offrir au moins deux ans dans un poste. Non. Il faut s’arranger pour former différemment, pour découper le poste différemment. Il faut tout redéfinir complètement. Le contrat social entre un individu et son emploi est complètement différent. Et ça ne veut pas dire que les gens, les jeunes notamment, ne sont pas dédiés. Pas du tout. On peut avoir quelqu’un qui va être complètement dédié à son travail, mais pendant deux ans, par exemple. Et quelqu'un qui s'ennuie dans un travail va s’en aller. Donc, tout ça affecte le métier de recruteur aussi.
Je vois des gestionnaires, parfois, qui me disent, non, mais moi, je suis correct, mon équipe est stable. Je réponds toujours : « tu sais que ça ne va pas durer longtemps ». La stabilité d'une équipe, ça n'existe plus. Il faut toujours se préparer pour son prochain recrutement, parce qu'il va arriver plus rapidement que ce qu’on imagine. Et ce n'est pas parce qu’on n’est pas un bon gestionnaire ou qu’on a une mauvaise entreprise. C'est parce que les besoins de l'individu ont évolué. C'est comme ça. Oui.